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L’assistance de l’expert-comptable du CSE lors de l’examen de la situation économique et financière de l’entreprise

Actualité du comité CSE – mai 2022

Comité/commission
CSE

Dans le contexte de transformation économique et sociale qui accompagne et suit la crise sanitaire et la transition écologique, l’assistance du CSE par un expert-comptable présente une dimension d’actualité.

Cette mission d’assistance lors de l’information/consultation sur la situation économique et financière constitue un atout spécifique pour l’exercice des attributions économiques du CSE et le dialogue social dans l’entreprise.

La mission d’accompagnement par un expert-comptable, dans le cadre de l’information-consultation sur la situation économique et financière a été créée par la loi Rebsamen du 17 août 2015. Cette mission « légale », dont l’objectif principal est la veille économique, trouve son origine quasiment à la création des CE, avec la mission d’examen annuel des comptes créée en 1946. Rappelons qu’à la création des CE, en décembre 1944, il était prévu qu’un 2ème commissaire aux comptes soit nommé par les représentants du personnel, le CE, en complément de celui nommé par les actionnaires.

La direction est dispensatrice des informations auprès de l’expert-comptable qui peut, par ailleurs, enrichir son analyse avec d’autres données (référentiels sectoriels, analyse de marché…). Cette mission est décidée par le CSE. Elle est totalement prise en charge par l’entreprise, comme l’est le coût de la mission légale du commissaire aux comptes nommé par les actionnaires.

 

Objectifs de la mission de l’expert-comptable

La mission s’inscrit dans le cadre de l’information-consultation du CSE sur la situation économique et financière de l’entreprise, prévue par l’article L. 2312-17 du Code du travail. Cette information-consultation intervient chaque année, selon l’article L. 2312-22 du Code du travail, sauf accord prévoyant une périodicité différente sans que cela ne puisse excéder trois ans (selon l’article L. 2312-19 du Code du travail). Cette notion d’information/consultation initiée par la loi Rebsamen de 2015, a été reprise par les ordonnances Macron de l’automne 2017 lors de la création des CSE. Elle aboutit à l’expression d’un avis du CSE et se distingue de la « simple » information.

La mission consiste à rendre intelligible les données économiques et financières de l’entreprise pour le CSE et à lui permettre d’apprécier la situation de l’entreprise dans son environnement. Elle dépasse donc, très largement, le strict cadre des comptes qui sont l’une des portes d’entrée dans la vie économique de l’entreprise. L’analyse s’entend sous un angle dynamique, mettant en perspective les données des années récentes, de l’exercice clos, de l’exercice en cours et les perspectives à venir.

L’expert-comptable peut, le cas échéant, apporter son appui pour la préparation de la formulation de l’avis du CSE à l’organe d’administration de l’entité. En effet, la mission porte à la fois sur des données comptables, fiscales, sociales et de gestion (selon leur disponibilité) et intègre, le cas échéant, des éléments prospectifs. La consultation porte également sur la politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise, y compris l’utilisation des crédits d’impôt.

La compréhension de la situation économique et financière peut amener à intégrer certaines données relevant du domaine social ou de l’emploi. C’est le cas, par exemple, des données relatives aux effectifs, à la construction et l’évolution de la masse salariale, la démographie de l’entreprise, les accidents de travail…même si ces données ont vocation à être plus particulièrement analysées dans le cadre de la mission sur la politique sociale de l’entreprise. Comme auparavant pour la mission sur les comptes annuels, « la mission de l’expert-comptable (sur la situation économique et financière de l’entreprise) porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise » (C. trav, art. L. 2315-89).

La jurisprudence rendue sur les informations accessibles à l’expert-comptable dans le cadre de sa mission d’analyse des comptes et de ses autres missions, en vigueur jusqu’alors pour les CE, s’applique à cette mission relative à l’analyse de la situation économique et financière de l’entreprise.

 

Périmètre de la mission de l’expert-comptable

Niveau d’intervention

Selon l’article L 2312-22 du Code du travail, l’information consultation sur la situation économique et financière est conduite au niveau de l’entreprise.

Si l’entreprise est dotée de plusieurs établissements, la consultation est menée au niveau du CSE central qui désignera l’expert-comptable et sera destinataire de son rapport.

Des pouvoirs d’investigations étendus, par référence aux commissaires aux comptes et au jugement professionnel de l’expert-comptable :

La mission de l’expert-comptable du CSE s’effectue sur les données permettant de comprendre la situation économique et financière de l’entreprise, parmi lesquelles les comptes de l’entreprise.

L’expert-comptable a accès à la BDESE, mais il n’est pas limité dans ses prérogatives d’investigation au contenu de cette base.

Notons que depuis la loi du 24 août 2021, la compétence du CSE intègre les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise. Le périmètre de la mission de l’expert-comptable relative à la situation économique et financière évolue et recouvre désormais le champ des données disponibles sur ce thème.

L’existence de données obligatoirement transmises au CSE dans le cadre de la consultation ne réduit pas les données communiquées à l’expert-comptable à ce premier niveau d’information. En effet, il peut également demander tous les documents qu’il juge nécessaires pour réaliser sa mission, au même titre que le commissaire aux comptes (C. trav., art. L. 2315-83 et C. trav., art. L. 2315-90).

Le principe à retenir demeure la liberté de jugement professionnel, avec la mise à disposition des documents existants. La loi et la jurisprudence assimilent, en conséquence, les pouvoirs d’investigation de l’expert-comptable du comité à ceux du commissaire aux comptes qui, en application des dispositions de l’article L. 823-13 du Code de commerce, a droit à « toutes les pièces qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission » (Cass. soc., 29 oct. 1987, n° 85-15.244 ; Cass. soc., 8 nov. 1994, n° 92-11.443).

La référence aux « documents communiqués au commissaire aux comptes » ne doit cependant pas être invoquée pour réduire le champ d’analyse de l’expert-comptable du comité. Le principe est l’autonomie du professionnel dans le cadre de sa mission. Il appartient au seul expert-comptable désigné par le CSE d’apprécier les documents qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission (Cass. soc., 16 mai 1990, n° 87-17.555 ; Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754 ; Cass. soc., 18 nov. 2009, n° 08-16.260). Cette approche s’applique à la mission légale d’assistance de l’expert-comptable du CSE dans le cadre de l’assistance pour la consultation sur la situation économique et financière.

L’entreprise et son environnement économique et juridique : le groupe

La jurisprudence précise que l’expert-comptable, nommé sur la situation économique et financière d’une filiale, peut obtenir les comptes de la holding ou de la société mère.

L’expert-comptable du CSE peut étendre son investigation aux autres sociétés du groupe. Il peut donc, comme le commissaire aux comptes, dans le cadre de l’article L. 823-14 du Code de commerce, procéder à des investigations auprès de l’ensemble des entreprises comprises dans le cadre de la consolidation (Cass. soc., 8 nov. 1994, n° 92-11.443).

Si les investigations de l’expert du comité de groupe s’étendent à toutes les entreprises consolidées, il en va de même des investigations de l’expert-comptable du CSE. Il appartient à ce dernier, qui a accès aux mêmes documents que les commissaires aux comptes, d’apprécier quels sont les documents utiles à l’exercice de sa mission. S’il estime utile de le faire, à condition de respecter l’objet de sa mission, il pourra pousser ses investigations vers d’autres sociétés du groupe auquel l’entreprise appartient, y compris les sociétés étrangères.

Cette jurisprudence de la Cour de cassation en matière de comité d’entreprise sur les missions d’analyse des comptes des entreprises du groupe s’applique également pour les missions sur la situation économique et financière (Cass. soc. 8 nov. 1994, n°92-11.443 ; Cass. soc. 6 déc. 1994, n° 92-21.437 ; Cass. soc., 27 nov. 2001, n° 99-21.903 ; Cass. crim. 26 mars 1991, n° 89-85.909 ; Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754). On relèvera que, dans la même perspective, la Cour d’appel de Versailles (CA Versailles 17 oct. 1990, Usines Chausson, RJS 12/90, p. 650) a admis que l’expert-comptable du CE puisse avoir accès à des documents détenus par des tiers sur autorisation judiciaire dans la mesure où cette communication présente un intérêt pour l’objet de la mission de l’expert-comptable. Cet arrêt rejoint la position de Cour de cassation quant à la notion d’information suffisante.

Les limites et le pouvoir du juge

Le juge peut cependant contrôler le respect de l’objet de la mission de l’expert-comptable. Ainsi, un référé devant le Président du tribunal judiciaire peut être envisagé par l’employeur qui estime que les documents demandés n’entrent pas dans le cadre de la mission de l’expert (Cass. crim., 23 avr. 1992, n° 90-84.031). De la même façon, le juge peut ordonner à l’employeur de communiquer à l’expert-comptable les documents demandés (Cass. soc., 17 févr. 2004, n° 02-11.404). « Un refus de communication de pièces par le chef d’entreprise est susceptible de constituer une entrave au fonctionnement du CE » (Cass. crim., 23 avr. 1992, n° 90-84.031).

 

Le calendrier de la mission de l’expert et les délais

La consultation sur la situation économique et financière est encadrée, voire « corsetée » par des délais lorsqu’il n’y a pas d’accord de méthode. Compte tenu notamment de l’inclusion des données prévisionnelles dans le périmètre de la mission de l’expert-comptable, l’application d’un délai préfix et d’un calendrier non négocié rendent problématique la mise en œuvre de ses travaux, voire en partie inopérante.

Comment le CSE peut-il disposer d’une information suffisante ? Comment concilier l’efficacité opérationnelle et la sécurité juridique pour les parties prenantes ? La voie de la négociation, formelle ou informelle, paraît devoir être privilégiée.

Calendrier

« En l’absence d’accord, le comité est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai d’un mois ; ce délai étant porté à deux mois en cas de recours à un expert » (C. trav., art. R. 2312-6). Le point de départ de la consultation est la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation ou l’information de leur mise à disposition dans la BDESE (C. trav., art. R. 2312-5). Le principe serait donc un délai préfix de 30 jours ou 60 jours en cas de recours à l’expert.

S’agissant de « l’accord » permettant de déroger aux délais préfix, la Cour de cassation a précisé qu’il peut s’agir d’un accord informel en dehors de tout vote, prolongeant valablement les délais de consultation du comité ; cette solution est transposable au CSE (Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 19-10.987).

L’article L. 2312-15 du Code du travail expose le cadre général du contrôle des informations reçues par le CSE et ses recours pour ce qui concerne ses attributions consultatives. Il dispose, à cette fin, d’un « délai d’examen suffisant » et « d’informations précises et écrites ».

Le comité dispose également de la faculté de saisine du Président du tribunal judiciaire, s’il estime ne pas disposer d’informations suffisantes. Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai de la consultation, mais le juge peut décider de prolonger de délai d’examen des informations dont il ordonnera la communication, en cas de difficultés particulières (Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-22.759 confirmé par Cass. soc., 27 mai 2020, n° 18-26.483).

S’il est saisi avant l’expiration du délai initial de consultation, le juge peut ordonner la communication des éléments d’information manquants et prolonger de facto le délai de consultation du CSE. Peu importe que sa décision soit rendue après expiration du délai initial. Au final, si le juge admet l’insuffisance de l’information transmise au CSE, les délais pourront être prolongés ou un nouveau délai débutera à compter de la communication des informations complémentaires, ce qui redonne de la substance à la procédure de recours de l’article L. 2312-15 du Code du travail susvisée.

Cette jurisprudence trouve son application pour ce qui concerne les documents demandés par l’expert-comptable du CSE dans le cadre de sa mission (cf. périmètre de la mission). L’expert-comptable devra préciser, le cas échéant, au CSE que l’information qu’il a reçue est insuffisante pour poursuivre sa mission et la mener à bien dans les délais, de même que s’il souhaite saisir le juge en référé d’une demande de communication par l’employeur de documents, il doit le faire avant l’expiration du délai imparti au comité car s’il le fait après, sa demande sera jugée irrecevable par le juge (Cass. soc., 14 avr. 2021, n° 19-11.753).

Délais

Le moment où intervient cette consultation du CSE dans l’année relève d’un accord d’entreprise conclu entre l’employeur et les organisations syndicales ou, d’un accord entre l’employeur et le CSE (C. trav., art. L. 2312-19).

La pratique reste, sauf cas particulier, de prévoir cette consultation dans la période qui suit la disponibilité des comptes. La mission doit donc théoriquement être réalisée dans un délai de deux mois entre la date de nomination de l’expert-comptable et la date de réunion de présentation. Le rapport de l’expert-comptable doit être présenté 15 jours avant cette réunion.

La législation stipule par ailleurs que « l’expert demande à l’employeur, au plus tard trois jours de sa désignation, toutes les informations complémentaires qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L’employeur répond à cette demande dans les cinq jours » (C. trav., R. 2315-45).

En résumé, si l’on calcule le délai « accordé » pour réaliser la mission, nous obtenons 37 jours (soit 60 – 3 – 5 – 15 = 37). Or une mission sérieuse ne peut pas être réalisée dans un délai aussi court.

Pour parer à cette difficulté, le CSE peut décider de mandater l’expert sur cette mission avant le déclenchement de la procédure d’information-consultation annuelle. Cela paraît souhaitable pour une meilleure planification des travaux de l’expert-comptable, dans l’intérêt du CSE. La meilleure solution est de convenir de tout cela avec l’employeur dans le cadre d’un accord sur la période de l’information/consultation et sur les délais de réalisation (un délai de 3 mois à partir de la mise à disposition des documents semble bien plus raisonnable).

En pratique, un accord, parfois informel est souvent trouvé permettant à l’expert de réaliser sa mission avec un contenu au niveau requis, c’est-à-dire une information précise et pertinente, déterminée en fonction du périmètre de la mission légale, et non pas celui de la consultation (informations sur l’entreprise, sur le groupe, intégration le cas échéant dans la mission des données prospectives ou rétrospective…).

 

Rapport de l’expert

Il s’agit d’une analyse indépendante, sans parti pris. Elle met en perspective des informations pertinentes sur la situation économique de l’entreprise, au regard de la problématique du CSE et de ses attributions économiques et professionnelles.

Si la mission prévoit des étapes, l’expert-comptable peut produire des notes ou rapports intermédiaires ou complémentaires. Les comptes prévisionnels et leur analyse est aussi l’une des composantes de la mission d’assistance au CSE à ce titre et permet de donner une consistance prospective aux travaux réalisés (documents visés par les articles L. 232-1 à L. 232-4 du Code de commerce).

 

Conclusion

Le CSE peut se faire assister par un expert-comptable dans le cadre des trois informations/ consultations récurrentes, ainsi que dans le cadre de consultations ponctuelles, le plus souvent liées à un contexte de difficultés économiques et sociales ou de transformation de l’entreprise et de son organisation (alerte économique, licenciements économiques, concentration et, plus récemment, l’assistance dans le cadre de la négociation d’un accord de performance collective).

En pratique, l’efficacité de l’intervention de l’expert-comptable est souvent liée à sa compréhension détaillée du fonctionnement économique de l’entreprise, fondement de son assistance dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de la société qui relève de la veille économique.

Le contexte actuel de crise économique, sociale, environnementale et géopolitique donne à cette mission une acuité particulière, notamment en ce qui concerne le suivi des aides publiques directes et indirectes dont bénéficie l’entreprise pour son activité, son financement et le maintien de l’emploi et des compétences (PGE, fonds de solidarité, indemnisation de l’activité partielle…).

Outre des aspects formels, une analyse transverse réalisée par un professionnel indépendant permet de mettre en relation des faits économiques, financiers et sociaux avec un certain niveau d’objectivité et de qualité.

La mission de l’expert-comptable constitue souvent un apport majeur à la formation économique des élus et facilite également une prise en compte par la direction de certains enjeux sociaux en liaison avec l’analyse économique et financière.

En conclusion, cette mission, qui existe depuis la création des CE en 1945, demeure d’actualité dans le contexte de crise économique. Elle prend une nouvelle dimension avec le contexte de crise environnementale et de transformation des entreprises, car elle combine un volet de veille économique et d’analyse prospective et rétrospective.

C’est la première mission que le CSE doit confier à un expert-comptable dans le cadre de ses attributions économique et professionnelles pour l’aider à appréhender la réalité économique et financière de l’entreprise. Elle peut se compléter d’un accompagnement pour mieux comprendre la politique sociale et les orientations stratégiques de l’entreprise. L’assistance du CSE par un professionnel indépendant permet de corriger l’asymétrie d’accès et de compréhension aux informations économiques et financières existant entre les représentants du personnel et la direction.

Cela contribue à une meilleure transparence, à une meilleure communication, à un meilleur dialogue social et, au final, à une meilleure gouvernance de l’entreprise.

 

 

Article de Jérôme Auriol et Gérard Lejeune, experts-comptables, publié dans les Cahiers Lamy de Septembre 2021

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