Vue des toits de Paris

Interview de Jean-Luc Scemama, président du comité Transmission de l’Ordre des experts-comptables Paris IDF

Actualité du comité Transmission – novembre 2022

Comité/commission
Transmission d’entreprises

Bonjour Jean-Luc, vous avez présidé le comité Transmission de l’Ordre au niveau national pendant 4 ans et maintenant pour la région Île-de-France depuis 6 années. En quelques mots, pouvez-vous nous dire pourquoi vous investir autant sur cette question de la transmission d’entreprise ?

Je considère que notre profession a la capacité d’être bien plus présente sur la transmission d’entreprise, soit en accompagnant nos clients pour de la croissance externe à travers des acquisitions, des recherches de partenaires ou des fonds d’investissements et pour la cession de leur propre entreprise, qui nécessite du temps et de l’anticipation.

Notre objectif est de faciliter pour nos consœurs et nos confrères leur présence sur ces missions qui peuvent être ponctuelles ou générer la création d’un pôle « spécialisé » au sein de leur cabinet.

Les compétences à acquérir sont techniques (méthodologie, fiscale, juridique, évaluation, financière, audit, etc.), mais aussi comportementales (réseaux, négociation, accompagnement, etc.).

 

En cette période de débats sur les lois de finances, quelles sont les évolutions législatives attendues susceptibles d’impacter l’univers de la transmission ?

La question fiscale revient au centre des débats, en lien avec une notion plus dogmatique et politique. Le Pacte Dutreil fait l’objet de discussions dans les couloirs, dans la mesure où il permet une exonération à hauteur de 75% des droits de mutation sur les plus-values de cession dans le cercle familial. La fiscalisation ou non de l’héritage est devenue depuis la dernière élection présidentielle, une question très politique.

Précisions que, sans cette disposition, les droits de mutation atteignant 45 % en ligne directe et 60 % entre non-parents auraient généré de nombreuses liquidations d’entreprise pour payer lesdits droits.

En ces période où l’État a beaucoup dépensé et recherche de la trésorerie, l’abattement Dutreil est potentiellement en danger. Sa remise en cause créerait des difficultés importantes dans les processus de transmission intra-familiale et ce serait assez dramatique pour l’économie en ce moment.

 

Pourquoi particulièrement en cette période ?

L’âge des dirigeants d’entreprise est bien plus avancé aujourd’hui qu’il ne l’était il y a quelques années, ainsi qu’en témoigne Alain Tourdjman, directeur des études économiques et de la prospective du groupe Banque Populaire-Caisse d’Épargne (BPCE), « en 2005, 15 % des dirigeants de PME avaient plus de 60 ans, contre 25 % aujourd’hui ; 5,5 % des dirigeants avaient 66 ans et plus, contre plus de 11 % aujourd’hui ».

En d’autres termes, nous sommes donc dans la situation où de plus en plus d’entreprise, sur tout le territoire national, sont potentiellement à vendre, compte tenu de l’âge de leurs dirigeants, qui sont souvent les fondateurs de beaucoup de TPE ou PME.

Si la question fiscale revient au centre du débat, les cessions vont se ralentir. En effet, pour tenter de récupérer sur le volume ce qu’ils perdraient en impôts supplémentaires, il est fort probable que les prix demandés par les cédants subiraient une certaine inflation. Dans cette perspective, les banquiers pourront suivre moins facilement et un certain nombre d’opérations risqueraient alors de ne pas aboutir.

Or, un chef d’entreprise qui ne trouve pas de repreneur et qui ne veut pas brader son entreprise, dans laquelle il a tant investi de temps, d’énergie, d’argent, de stress, pourrait être tenté de s’arrêter ; signifiant le licenciement des effectifs. Au-delà de la perte de savoir-faire, l’impact social serait catastrophique (ainsi que celui sur finances publiques : coût du chômage, pertes de cotisations, de TVA et d’IS).

De plus, si la fiscalité devient un frein à la transmission, les cédants vont attendre avant de se décider, fragilisant ainsi le processus de cession, avant d’être contraints, pour des raisons de santé, de vendre dans l’urgence et donc dans de mauvaises conditions pour tout le monde, y compris pour les salariés.

 

En quoi la profession d’expert-comptable a un rôle déterminant à jouer selon vous ?

Les experts-comptables ont un rôle double à jouer :

  • Être ou devenir des facilitateurs dans les transmissions des entreprises (et je ne parle pas là uniquement des cessions intra-familiales), en identifiant dans leur clientèle les entreprises qui auraient intérêt d’une part, à être reprises : intérêt pour l’avenir de la société, pour le devenir de ses salariés et le cédant, mais aussi, à rechercher de la croissance externe, en acquérant une entreprise ou une de ses branches pour consolider leur activité ou la diversifier, d’autre part,
  • En diffusant largement les informations susceptibles d’éclairer les potentiels cédants.

Selon un sondage CCI France – Opinion Way de septembre 2022 effectué sur un panel composé de 630 chefs d’entreprise, 82 % des dirigeants interrogés déclarent ne pas connaître le Pacte Dutreil. Seulement 8 % déclarent le connaître « très bien » quand 10 % estiment le connaître vaguement.

Nous qui sommes au cœur des relations de l’entreprise et en contact direct et proche avec les dirigeants, nos clients, nous devons être une source d’informations et d’éclairage pour eux.

De surcroît, j’ajoute que la nécessaire information de nos clients sur tous les dispositifs fiscaux et juridiques actuels passe nécessairement, et en premier lieu, par la formation des collaborateurs de nos cabinets, augmentant ainsi l’attractivité et la fidélité des collaborateurs !

 

Si vous étiez au bureau des lois, quel amendement pourriez-vous proposer ?

Sans entrer dans un débat de politique générale, mais en ce centrant uniquement sur la volonté d’éviter des licenciements de milliers de salariés de sociétés qui ne seraient pas reprises, nous pourrions reprendre à notre compte les propositions de la Délégation aux Entreprises du Sénat, telles que :

  • Sanctuariser le « Pacte Dutreil » et organiser une campagne d’information des dirigeants d’entreprise ;
  • Consolider et clarifier dans la loi la définition de la holding animatrice et son application dans le cadre du « Pacte Dutreil » ;
  • Abroger le dispositif d’obligation d’information préalable des salariés de la loi dite « Hamon », qui n’a pas fait preuve d’une particulière utilité ;
  • Sécuriser les dispositifs de financement de la transmission par Bpifrance ;
  • Faciliter la transmission des fonds de commerce en pérennisant la déductibilité de l’amortissement ;
  • Harmoniser les droits d’enregistrement avec un taux unique ;
  • Faciliter la reprise par les salariés en pérennisant le crédit d’impôt en faveur des sociétés rachetées par des salariés, relevant les abattements fiscaux en cas de reprise par des salariés (de 300 000 à 500 000 €) et incitant le fléchage des abondements en droits complémentaires du compte personnel de formation (CPF) vers les formations à la reprise ;
  • Encourager l’anticipation des dirigeants en leur offrant un « chèque-conseil pour la transmission » entre 55 et 65 ans, une proposition que nous avions déjà formulée à la Région il y a plusieurs années ;
  • Simplifier les démarches des cédants et repreneurs en structurant la coordination, au niveau national et régional, entre les différents acteurs publics et privés de la transmission d’entreprise.
Group 6