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Union régionale des Scop et des Scic d’Île-de-France : transmettre son entreprise en Scop à ses salariés

Actualité du comité Transmission – novembre 2022

Comité/commission
Transmission d’entreprises

Interview de Pierre Jovignot (délégué développement Île-de-France au sein de l’Union régionale des Scop et Scic d’Île-de-France, Centre-Val de Loire et d’Outre-Mer)

 

Pouvez-vous nous présenter les missions de l'Union régionale des Scop et Scic d’Île-de-France ?

Notre rôle consiste à créer, accompagner et fédérer les Scop et les Scic du territoire. On dénombre actuellement en France 2600 Scop et 1200 Scic.

Lorsqu’une société ou des cédants potentiels ou des repreneurs potentiels souhaitent transformer leur entreprise en Scop, ils nous contactent et ils viennent assister à ce qu’on appelle une information collective animée par un délégué développement comme moi, qui leur parle de la Scop.

Nous pouvons être contactés par le cédant ou par les salariés s’ils voient que le chef d’entreprise pourrait être prêt intellectuellement à leur céder l’entreprise en Scop. La première chose à faire c’est de trouver un accord sur la valorisation. C’est un peu délicat, car il faut qu’on mène de front les 2 discussions, côté cédant et côté repreneurs salariés. Très souvent, le cédant souhaite connaître la valorisation avant d’en parler aux salariés pour ne pas perturber la marche de l’entreprise.

Pouvez-vous nous expliquer le rôle du délégué développement ?

J’anime les réunion d’information collective. Je fais aussi des interventions dans les fédérations professionnelles, comme celle du bâtiment par exemple, dans les lycées, dans les écoles de commerce, pour dire que la Scop existe. Dans la très grande majorité des cas on me dit qu’on ne savait pas que ça existait, et c’est bien triste car pour moi c’est une solution d’avenir.

Moi-même, j’ai fait toute ma carrière comme directeur général dans une entreprise, ensuite j’ai fait des acquisitions d’entreprises, j’ai fait des LBO, j’ai fait des emprunts avec caution personnelle etc. et si j’avais connu la Scop à l‘époque j’aurais eu un peu moins de soucis professionnels, j’aurais peut-être pu racheter l’entreprise dans laquelle je travaillais et qu’il me tenait à cœur de développer, mais je ne pouvais pas la racheter avec mes fonds personnels, il aurait fallu que je fasse un montage. Je pense que pour un chef d’entreprise qui arrive aux alentours de 55 ans, la solution Scop est une solution idéale pour transmettre l’entreprise à ceux qui la connaissent le mieux, c’est-à-dire ses salariés.

Nous cherchons à nous faire connaître des experts-comptables parce que quand un cédant envisage de vendre son entreprise, c’est souvent à son expert-comptable qu’il s’adresse.

Le nombre de Scop est néanmoins en augmentation puisqu’on est passé de 2400 Scop en 2020 à 2600 Scop aujourd’hui…

Oui. Les Scop emploient actuellement 58000 salariés, les SCIC 13000, soit 71000 salariés au total et 81000 salariés avec les filiales. L’objectif de la Confédération générale des Scop et Scic est d’atteindre les 100000 salariés d’ici la fin de la mandature actuelle, en 2025.

On sait depuis l’origine des Scop en 1947, que lorsqu’il y a des crises il y a une augmentation du nombre de Scop créées, et là actuellement moi je trouve qu’on est très sollicités. Il est certain que c’est beaucoup plus facile de piloter une Scop qu’une entreprise patrimoniale. Dans une Scop, il y a un partage des responsabilités et des risques et, à la limite, plus de risque du tout. En revanche, ça oblige à un effort de partage de l’information et de partage des grandes décisions.

Comment les Scop ont-elles traversé la crise sanitaire ?

Les Scop résistent mieux aux tempêtes. Quand elles sont créées ex-nihilo le taux de pérennité au bout de 5 ans est de 73% contre 61% au plan national.

Le fait qu’elles doivent affecter au minimum 16% de leurs bénéfices aux réserves impartageables leur a permis de mettre de l’argent de côté et on entend beaucoup de témoignages comme quoi elles ont réussi à passer la crise grâce à ces réserves.

Historiquement, la moitié des reprises en Scop concernaient des entreprises en difficulté. Est-ce encore vrai aujourd'hui ?

En Île-de-France, ça n’existe plus car la reprise d’entreprises en difficulté aiguise l’appétit d’investisseurs étrangers qui font monter les prix.

De plus, quand on est dans l’urgence, il est trop tard pour rechercher parmi les salariés des  repreneurs et des futurs dirigeants.

Cependant, si le cédant parvient à maintenir l’entreprise à flot suffisamment longtemps pour qu’on puisse s’organiser, l’entreprise sera vraisemblablement cédée aux salariés repreneurs pour zéro euro, mais on pourra convenir d’un complément de prix qui récompense l’attitude du cédant qui a maintenu l’entreprise à flot et abandonné par exemple son compte-courant.

Y a-t-il un portrait-robot de l'entreprise reprise en Scop aujourd'hui ?

Il n’y en a pas. Je rencontre des situations très différentes. Mais j’ai remarqué un nouveau phénomène. J’ai rencontré coup sur coup 2 chefs d’entreprise qui envisagent la même démarche : passer en Scop en cédant la totalité de leurs titres aux salariés, récupérer la plus-value de cession, rester dans l’entreprise en tant que salarié, racheter des parts de la Scop et proposer leur candidature comme  dirigeant lors des élections.

S’il y a une trésorerie excédentaire, au lieu de céder, le chef d’entreprise peut envisager de transformer son entreprise en Scop, récupérer des fonds en faisant racheter par la Scop une partie de ses parts à leur valeur nominale, parts qui seront ensuite souscrites par des salariés repreneurs. Le chef d’entreprise reste associé et salarié et peut proposer sa candidature comme dirigeant.

Si le cédant ne souhaite pas devenir salarié coopérateur, il y a d’autres façons de continuer à accompagner l’entreprise, par exemple, en y laissant des fonds sous forme de titres participatifs  bloqués pendant 7 ans et rémunérés avec une partie fixe et une partie variable.

Le cédant peut aussi rester en tant qu’associé extérieur, détenir une part et laisser des sommes à disposition de l’entreprise via son compte-courant d’associé.

Dans tous les métiers, on parle d’entreprises dont les dirigeants arrivent à la retraite sans trouver forcément un repreneur et je pense que la transmission en Scop est une solution idéale pour eux, d’autant que les outils financiers du réseau des Scop facilitent cette transmission.

Quel est selon vous le principal obstacle à la reprise en Scop ?

Ces obstacles sont de plusieurs nature.

Les chefs d’entreprise pensent souvent que la transmission en Scop se fait forcément à un prix inférieur à celui d’une cession à un repreneur extérieur. Nous considérons que c’est faux. Selon nous, lors d’une transmission en Scop, un prix équilibré est un prix que les repreneurs salariés pourront financer grâce à un emprunt remboursable en 7 ans, sachant que l’apport personnel qui leur est demandé représente seulement 10 à 20% du prix d’acquisition. Nous utilisons notre   méthode de valorisation pour vérifier dès le démarrage du projet de transmission si une jonction est possible entre les attentes du cédant et les possibilités des repreneurs salariés.

Mais surtout, le principal obstacle, c’est qu’une fois l’entreprise transformée en Scop, il n’est plus possible de faire une plus-value en cédant ses titres : les parts de la Scop ne peuvent être rachetées que par la Scop, et uniquement à leur valeur nominale. Lorsque vous êtes en Scop, vous ne pouvez pas faire fortune avec votre apport en capital. Si vous voulez faire fortune dans une Scop ce sera chaque année au moment du partage des bénéfices, en fonction du nombre de parts détenues, mais ne comptez pas sur une augmentation de votre patrimoine, encore moins en contexte inflationniste. En revanche, l’entreprise vous garantit de racheter vos parts à leur valeur nominale et, en cas de difficulté, vous pourrez bénéficier de la couverture chômage des salariés.

La transformation en Scop est irréversible. J’utilise l’image de la métamorphose de chenille à papillon, car quand vous êtes en Scop vous êtes inscrit sur une liste ministérielle et vous ne pouvez plus revenir en arrière.

Lors du projet de reprise, comment interagissez-vous avec l'expert-comptable conseil des repreneurs salariés ?

Nous conseillons d’emblée aux repreneurs de se trouver un expert-comptable, qui ne soit pas forcément celui de l’entreprise. L’expert-comptable des repreneurs joue un rôle crucial pour mettre en forme le prévisionnel et s’assurer de sa cohérence avec les éléments passés. On travaille sur une période de 6 ans : les 3 dernières années et les 3 futures années. L’indicateur clé est l’EBE.

Le délégué développement prend en charge la création du dossier de demande de financement au sein du mouvement coopératif. Il défend le dossier devant une commission régionale et, si la demande dépasse 100000 euros, devant une commission nationale. Dans ces commissions siègent des membres du conseil d’administration de l’Union Régionale des Scop et des Scic, qui sont eux-mêmes des dirigeants de Scop élus par leurs pairs.

Quels sont selon vous les principaux facteurs de succès d'une reprise en Scop ?

Le dirigeant de la Scop est élu à bulletin secret par les salariés pour 1, 2, 3 ou 4 ans selon les dispositions prévues par les statuts de la Scop. Un chef d’entreprise qui est réélu par les salariés c’est extraordinaire au niveau de sa légitimité.

Il y a aussi l’implication très forte des salariés associés.

Les repreneurs en Scop ont accès à des solutions de financement adaptées. Pouvez-vous nous présenter les principales ?

Le montage financier type est le suivant : le premier étage de la fusée est constitué de l’apport des associés qui représente 10 à 20% du montage financier total. Le 2e étage de la fusée ce sont les outils financiers du mouvement coopératif notamment le dispositif de prêts participatifs SOCODEN sur 3 à 5 ans à un taux normal ou un peu plus élevé, mais sans exigence de garantie personnelle. Le 3e étage de la fusée c’est soit la banque traditionnelle de l’entreprise, soit le plus souvent le Crédit coopératif.

Quels sont selon vous les arguments qui plaident le mieux en faveur de la reprise d'entreprise en Scop par les salariés ?

J’ai la conviction que quand il y a des tempêtes, une entreprise tenue par des salariés compétents et impliqués ça tient mieux la mer qu’une entreprise patrimoniale.

 

Interview réalisée par Laurence Guenancia, expert-comptable et membre du comité Transmission  de l’Ordre des experts-comptables Paris IDF

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