Interview de Thomas Colin, co-fondateur d’Alvo.market, primée par INNEST
Organisation du cabinet – Newsletter Transmission juillet 2024
Jean-Luc Scemama : Bonjour Thomas Colin, pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots ?
Thomas Colin : je suis un entrepreneur depuis plus de 10 ans après un passage dans le conseil en finance d’entreprise. J’ai d’abord été DAF indépendant pendant 7 ans avant de lancer Adequancy, une plateforme dédiée au management de transition en France, revendue en 2020. Convaincu que le marché de la cession / reprise de PME & Startups est profondément inefficient, j’ai cofondé en 2022 la plateforme alvo.market pour simplifier et dynamiser le M&A Small Cap.
JLS : Comment percevez-vous la délicate approche de la valorisation des Small Cap ?
TC : Quand on accompagne au quotidien des dirigeants de PME et entrepreneurs dans la gestion de leurs affaires, il y a fort à parier que l’on soit un jour ou un autre confronté à LA question, posée les yeux dans les yeux : « Vous pensez que ça vaut combien ? ».
On a souvent réduit la valorisation de société à une approche purement technique, quasiment scientifique, héritée de l’analyse financière des sociétés cotées. Mais la réalité des PME est bien éloignée des modèles bien huilés des marchés financiers : plus la valorisation est faible et moins l’on dispose d’information, plus la société est petite et plus les risques d’illiquidité sont importants. Bref, en Small Cap encore plus qu’ailleurs, construire une valorisation de société nécessite un subtil équilibre entre considérations techniques et appréciations du conseil.
Le premier élément à prendre en compte est évidemment de comprendre à quoi l’évaluation va servir. On n’approche pas de la même manière une évaluation dédiée à un apport de titres détenus en propre à une holding, où le point de vue de l’administration fiscale prime, et une évaluation préliminaire établie dans le cadre d’une opération de cession, où les sujets liés à la liquidité de marché (c’est-à-dire la capacité à obtenir plus ou moins facilement des offres d’acquéreurs) prennent une dimension bien plus importante. L’objectif de la valorisation va également définir le niveau de ressources engagées / de travail réalisé.
JLS : De quels jeux de données votre application a besoin ?
TC : Une fois l’objectif défini, la première étape consiste à collecter les éléments nécessaires à la réalisation d’un jeu de données financières, couvrant a minima l’historique de la société et idéalement son prévisionnel.
Pour la partie historique, nous utilisons les FEC pour alimenter automatiquement un datapack au format Excel présentant compte de résultat, bilan et tableau des flux de trésorerie.
Pour la partie prévisionnelle, les choses sont souvent plus compliquées. Dans les faits, pour les sociétés de 1 à 5 m€ de CA, nous devons souvent constater que l’information financière prévisionnelle (le fameux Business Plan) est trop légère, si ce n’est inexistante, notamment dans la déclinaison du compte de résultat en flux de trésorerie. Néanmoins si l’information prévisionnelle, même partielle, existe, nous l’intégrons également dans le datapack.
JLS : Quid des retraitements ?
TC : Une fois le datapack constitué, nous organisons un entretien avec le dirigeant dans le but d’identifier tous les éléments qui pourraient être retraités dans le cadre d’une approche normative de la performance financière de l’activité. Les cas les plus fréquents sont en général :
La sur ou sous rémunération du dirigeant, qui doit être ramenée à un niveau normatif, ainsi que toutes les charges annexes liées au dirigeant (frais personnels, loyers de SCI, voiture de fonction …)
Des produits et charges d’exploitation ayant un caractère non récurrent, notamment du côté des honoraires
Dans les activités fortement capitalistiques, la mise en évidence de sous ou sur investissements et la définition d’enveloppes normatives de CAPEX
Nous définissons alors des agrégats retraités dit « normatifs » (EBITDA, EBIT voire Free Cash Flows) qui vont servir dans la suite des travaux.
JLS : Quels sont vos retours d’expérience sur les différentes méthodes de valorisation ?
TC : Les méthodes de valorisation des entreprises que l’on croise le plus fréquemment dans le Small Cap sont :
- La valorisation par les DCF (actualisation des flux de trésorerie – discounted cash flows en anglais)
- L’approche par comparables
- L’utilisation de multiples d’EBIT/EBITDA
- La détermination de l’actif net comptable
Le travail de valorisation consiste bien souvent à croiser les résultats obtenus par plusieurs approches (pour les Small Caps on en retient souvent 2), en les pondérant au besoin selon leur pertinence, afin de déterminer une fourchette.
Concernant nos retours d’expérience sur les différentes méthodes, l’approche de la valorisation par les DCF est sans aucun doute la plus satisfaisante techniquement, et elle règne d’ailleurs sur tous les modèles financiers des fonds d’investissement en Private Equity. Toutefois dans le cas des Small Caps, cette méthode atteint vite ses limites, à la fois par manque d’information de marché (quel taux d’actualisation choisir pour tel ou tel actif) mais aussi par la faible qualité des informations prévisionnelles fournies par la société, alors que la méthode des DCF ne parle justement que de flux futurs.
L’approche par les comparables, où l’on définit un panier de comparables cotés ou ayant fait l’objet d’une transaction récente et documentée, se heurte elle aussi à l’absence de données de marché sur les petites transactions, ce qui oblige à choisir des comparables beaucoup plus gros que la société concernée et à y appliquer des décotes de taille massives … et in fine très arbitraires.
L’approche des fourchettes de multiples sectoriels est celle que nous avons retenu chez Alvo, à la fois parce qu’elle a le mérite de la simplicité dans la communication avec le cédant et les acquéreurs et que les multiples font l’objet de publications régulières d’acteurs du marché, même si nous ne pouvons pas toujours accéder aux données unitaires des index produits. En toute logique ces multiples ne sont bien évidemment que des raccourcis des DCF et des comparables.
Enfin, l’actif net comptable est quant à elle une méthode patrimoniale, par opposition aux méthodes d’inspiration actuarielle détaillées ci-dessus. Elle peut avoir son intérêt sur certains types d’activité mais elle a tendance à être une solution de repli, quand les méthodes actuarielles ne fonctionnent pas.
JLS : Quid des primes et décotes ?
TC : Une fois les calculs des méthodes retenues posés, l’évaluateur doit déterminer, et justifier, les primes et décotes retenues pour le calcul de la valorisation.
Pour les PME, on parle évidemment de décotes liées à la taille, matérialisant le fait qu’une société plus petite est financièrement plus fragile qu’une société plus importante. La décote de taille matérialise également l’illiquidité de marché, constat qui veut que l’on reçoive moins d’offres sur des sociétés plus petites que sur des sociétés rentrant par exemple dans les canons du Private Equity.
A cette décote primaire peuvent s’ajouter des décotes de contexte, notamment lié à la dépendance de l’activité au dirigeant, à des risques opérationnels (concentration des clients ou des fournisseurs) …
Côté prime, on peut évidemment penser à des primes stratégiques, notamment celles que pourraient payer des industriels dans des logiques de concentration verticale ou horizontale. Mais c’est relativement rare dans le Small Cap.
JLS : Et pour passer de la Valeur d’Entreprise à celle des Titres ?
TC : Effectivement, un point fondamental à avoir en tête lorsque l’on parle de valorisation d’entreprise, c’est de bien distinguer la VE (Valeur d’Entreprise) de la VT (Valeur des Titres).
Pour mémoire :
- La VE est la valeur donnée à l’activité de l’entreprise indépendamment de sa structure de financement (ce qui rend plus facilement comparable les différentes VE entre entreprises)
- La VT est la valeur des actions que possèdent les actionnaires de l’entreprise et qui seront donc l’objet de la transaction de cession dans le cadre de la vente d’une société (equity deal). On calcule la VT en retranchant la Dette Financière Nette (ou Dette Nette) à la VE (VT=VE-DFN).
Les discussions de valorisation d’une société dans le cadre d’une cession se focalise souvent sur le calcul de la VE, la détermination exacte de la Dette Financière Nette étant laissée à des audits ultérieurs.
JLS : Comment, chez Alvo, produisez-vous évaluations compatibles avec les enjeux des PME ?
TC : Chez Alvo, nous avons cherché à développer des produits et des approches qui répondent aux besoins du marché de la transmission de TPE-PME.
Nous faisons ainsi une différence entre un travail de cadrage de la valorisation, centré sur l’analyse des performances financières normatives historiques, et la production d’un rapport de valorisation complet, par nature plus détaillé et plus cher à produire.
Dans le cadre d’une opération de cession, le cadrage de valorisation peut ainsi permettre d’alimenter rapidement une discussion entre un cédant et un acquéreur ou tout simplement de confronter les espérances d’un dirigeant aux pratiques du marché sans avoir à lancer des travaux trop complexes.
JLS : Thomas Colin, nous vous remercions.
Interview réalisée par Jean-Luc Scemama,
président du comite transmission au CRO Paris Île-de-France et du comite évaluation et transmission au CNO